A
la joie de l’annonce de la découverte au large des côtes occidentales
sénégalaises d’importants gisements de pétrole et de gaz, s’est succédée la
prise de conscience de l’impératif de préalables pour une bonne gestion de ces
ressources. Car il faut dire que le spectre de « malédiction » qu’a
représentée la présence de telles ressources sur leur sol pour nombre de pays
africains, pousse de plus en plus la population sénégalaise à s’intéresser à
l’impact et aux perspectives de leur exploitation. En marge des inextricables
exégèses techniques, « Le Républicain Magazine » se propose, dans un
large dossier, de revenir sur les grands débats suscités par ces découvertes.
« Découvertes du pétrole et du gaz :
de quoi s’agit-il vraiment ? »
Quasiment improbable il y a une cinquantaine
d’années c’est avec une grande stupéfaction qu’ont été accueillies successivement les nouvelles faisant état de
découvertes de gisements d’hydrocarbures au large des côtes du Sénégal.
Tout d’abord, il faut savoir que pour les activités
d’exploration Production pétrolière, le bassin sédimentaire sénégalais est
divisé en blocs de forme géométrique, qui sont attribués à des compagnies
pétrolières internationales dans le cadre de contrats pétroliers conclus
avec l’Etat.
C’est ainsi que les travaux et études entrepris par les
sociétés d’exploration en place ont permis de révéler en 2014 au niveau des « blocs »
de Rufisque et de Sangomar des réserves probables évaluées entre 400 et 3170
million de barils de pétrole en plus du gaz naturel.
Un an plus tard un communiqué publié le mardi 07 octobre 2015
par l’entreprise pétrolière britannique Cairn Energy en relation avec la
société sénégalaise Petrosen fait état de la découverte de pétrole à 1 427
mètres de profondeur sur le puits FAN-1, situé sur le bloc Sangomar à 100
kilomètres des côtes sénégalaises. L’estimation des réserves de ce puits
faisant état d’un potentiel allant de 250 millions de barils de pétrole à 2,5
milliards de barils.
En Janvier 2016, le groupe américain « Kosmos
Energy » avait aussi révélé une découverte de gaz dans la partie
sénégalaise d’un bloc situé à cheval entre le Sénégal et la Mauritanie avec des
réserves dont les prévisions pourraient dépasser 17 000 milliards de pieds cubes
de gaz..
Afin de pouvoir exploiter au mieux ces
découvertes gazières se trouvant de part et d’autre de leurs frontières, le
Sénégal et la Mauritanie ont annoncé qu’ils exploiteront ensemble les gisements
découverts avec une répartition proportionnelle des charges ainsi que des
revenus.
Ceci étant dit, la découverte de ces gisements
d’hydrocarbures pourrait être d’un grand impact pour la satisfaction des
besoins en énergie de l’Etat du Sénégal qui a pendant longtemps été mis à mal
par les imprévisibles fluctuations des marchés du pétrole et du gaz.
D’un poids lourd dans la
balance commerciale sénégalaise, les massives importations en pétrole et en gaz
devraient pouvoir être alternées par une production locale aux prévisions
prometteuses si on s’en tient aux chiffres avancés, pour peut-être suivre
l’exemple du Nigéria où le coût du kilowattheure d’électricité est 5 fois plus
faible que le Sénégal.
Ainsi, les plus de 500 milliards de francs consacrés annuellement
aux dépenses énergétiques pourraient bien être reversés dans les efforts de
croissance économique du Sénégal et permettre de soutenir la stabilisation et
le développement de secteurs clés comme l’agriculture et l’éducation mais aussi
servir à amoindrir la dépendance à ces hydrocarbures et promouvoir les énergies
renouvelables par le développement d’infrastructures solaires comme éoliennes
vu le potentiel naturel dont dispose le Sénégal.
De même, les ressources économiques de l’Etat
du Sénégal pourraient être boostées par les retombées financières de la vente
de pétrole et de gaz puisque l’Etat du
Sénégal envisage à terme de s’inscrire dans le cercle restreint des pays
producteurs mais également exportateurs d’hydrocarbures.
Quelles
retombées pour l’Etat sénégalais ?
En matière d’exploitation pétrolière, il y a
"les contrats de partage de production et les contrats de concession. Nous
avons choisi les contrats de partage de production», affirmait le Président
Sall face à l’association « La Table de la presse » en Novembre 2014.
L’article 36 du
code pétrolier définit le contrat de partage de production comme un contrat de
services à risques aux termes duquel, l’Etat ou une société d’Etat confie à une
ou plusieurs personnes physiques ou morales qualifiées, l’exercice des droits
exclusifs de recherche et d’exploitation d’hydrocarbures à l’intérieur d’un périmètre
défini.
Concernant la participation
de l’Etat, outre les 10% d’actions gratuites par l’entremise de la société
nationale PETROSEN, il peut négocier pour lui et le secteur privé national une participation
au capital de la société d’exploitation.
Concernant les
retombées de l’exploitation du pétrole, Mamadou Faye Directeur de Petrosen, la
Société des pétroles du Sénégal, en
conférence de presse le 17 Octobre 2014 invitait à ne pas confondre la part de Petrosen
et celle de l’Etat qui comprend en fait trois parties à savoir la part de
Petrosen qui détient 10% dans tout contrat signé, sans participation financière
à la prospection, part qui sera revu à 20% en cas de découverte, la part de
l’Etat dans le profit ainsi que l’impôt sur les sociétés
Cependant le
point d’achoppement sur lequel s’écharpent les réflexions des sénégalais constitue
la part extrêmement « dérisoire » de 10% dévolue automatiquement à
l’Etat sénégalais et qui constitue une des conséquences d’un cadre juridique
dépassé voire obsolète d’où la question de sa nécessaire réforme.
« Quel
encadrement juridique pour l’exploitation des ressources minières? »
Sur ce point, la
principale inquiétude concerne l’adéquation des textes juridiques encadrant
l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures au contexte actuel. En effet,
le code minier datant du 24 novembre 2003 et le code pétrolier datant d’un contexte où «
l’environnement pétrolier international
a été caractérisé par une réduction importante des budgets d’exploration des
compagnies pétrolières. Une telle situation a réduit la compétitivité d’un pays
comme le nôtre pour les investissements de recherche pétrolière au profit de
pays disposant d’un potentiel pétrolier confirmé.» comme le note le législateur
sénégalais dans l’exposé des motifs de la LOI 98-05 du 8 janvier 1998. Celui-ci énonce dans le même texte que
« Pour être compétitif, le Sénégal doit non seulement tenir compte de
l’évolution des données énergétiques mondiales, mais aussi offrir aux acteurs
potentiels de l’industrie pétrolière, des conditions attrayantes et
susceptibles de favoriser le développement des investissements pétroliers d’exploration
ou de production sur le territoire national ».
Des raisons pour lesquelles les procédures
avaient été fortement assouplies et des concessions faites du point de vue
juridique pour encourager les efforts de recherche des entreprises désireuses
de s’investir dans l’introspection du sous-sol sénégalais.
L’autre inquiétude est relative à la prise
en charge de l’exigence de transparence dans la règlementation encadrant les
industries extractives car il faut savoir que l’aspect juridique, plus même que
le volet politique joue un rôle fondamental dans la garantie de transparence et
de contrôle inclusif de toutes les parties prenantes aux opérations sur les
ressources naturelles.
Ainsi, des efforts ont été menés récemment dans le cadre des réformes constitutionnelles opérées à l’issue du référendum de Mars 2016 avec l’introduction de l’article 25-1 nouveau qui prévoit en son alinéa 4 que « Les ressources naturelles appartiennent au peuple. Elles sont utilisées pour l’amélioration de ses conditions de vie. L’exploitation et la gestion des ressources naturelles doivent se faire dans la transparence et de façon à générer une croissance économique, à promouvoir le bien-être de la population en général et à être écologiquement durables ». Ce qui devrait permettre aux citoyens sénégalais d’exercer un contrôle sur l’utilisation des ressources minérales contenues dans leur sous-sol.
Ainsi, des efforts ont été menés récemment dans le cadre des réformes constitutionnelles opérées à l’issue du référendum de Mars 2016 avec l’introduction de l’article 25-1 nouveau qui prévoit en son alinéa 4 que « Les ressources naturelles appartiennent au peuple. Elles sont utilisées pour l’amélioration de ses conditions de vie. L’exploitation et la gestion des ressources naturelles doivent se faire dans la transparence et de façon à générer une croissance économique, à promouvoir le bien-être de la population en général et à être écologiquement durables ». Ce qui devrait permettre aux citoyens sénégalais d’exercer un contrôle sur l’utilisation des ressources minérales contenues dans leur sous-sol.
Par ailleurs, depuis Février 2012, le Gouvernement du Sénégal a
exprimé sa volonté d’adhérer à l’Initiative pour la Transparence dans les
Industries Extractives (ITIE) qui est une initiative volontaire qui a pour but
de promouvoir la transparence dans le suivi des revenus publics tirés de
l’extraction des ressources pétrolières, gazières et minières.
L’ITIE dont le rapport d’enquête devant sortir en Octobre a
été cité à titre de référence dans la lutte pour la transparence dans les
industries extractives par le Premier Ministre Mouhamad Dione dans sa réponse à
la lettre de son prédécesseur, Abdoul Mbaye.
« Le
facteur environnemental est-il suffisamment pris en compte ? »
Rappelons-le, l’actualité récente a été marquée par la
Conférence de Paris sur le climat où le Sénégal a été partie prenante au même
titre que la quasi-totalité des pays en voie de développement du Monde
confrontés au niveau élevé de dégradation de l’environnement et aux nouveaux
enjeux du développement durable.
Ainsi,
étant donné que la préconisation d’abandon progressif des ressources fortement
polluantes comme le pétrole est pour le moment difficile à mettre en œuvre du
fait de la réticence des pays ayant basé leur économie sur les ressources
minérales ou des pays nouvellement producteurs comme le Sénégal, il a été
reconnu la nécessité de prendre en compte au maximum l’aspect environnemental
dans les opérations d’extraction des hydrocarbures car il faut savoir que
celle-ci génère une série de coûts sociaux et environnementaux qui doivent être
comparés aux bénéfices qu'ils apportent.
S’il est notoire que les
industries extractives ont le plus souvent été d’un impact négatif pour le
développement durable et la protection de l’environnement, la grande question
est de savoir si ces nouvelles activités pétrolières et gazières se déployant
au large des côtes sénégalaises ne vont pas contribuer à affaiblir voire ruiner
l’écologie marine du Sénégal et par extension certains secteurs d’activités
fondamentaux de l’économie sénégalaise comme la pêche ou le tourisme.
A
cet effet, si le législateur sénégalais avait déjà prévu dans l’article 28 du Code pétrolier que « toute demande de
concession d'exploitation d'hydrocarbures doit être accompagnée d'un plan de
développement de la découverte commerciale qui doit, en outre, contenir une
étude d'impact sur l'environnement qui inclut les mesures aptes à garantir la
sécurité et l'hygiène des employés et des tiers, ainsi que l'équilibre
écologique du milieu, de même qu'un schéma d'abandon assurant la sauvegarde de
l'environnement », et que l’article 25-3 nouveau de la Constitution
sénégalaise prévoit que « Tout citoyen a le devoir de préserver les ressources
naturelles et l’environnement du pays et d’œuvrer pour le développement durable
au profit des générations présentes et futures »
Il n’en demeure pas moins nécessaire de
renforcer le cadre légal sénégalais pour exploiter le pétrole et le gaz tout en
tenant compte des impératifs environnementaux
« Le Sénégal dispose-t-il des
ressources humaines nécessaires ? »
Il est
légitime en effet de se poser la question si l’on sait que le système éducatif
sénégalais dont l’inadaptation aux besoins du monde professionnel est décriée
depuis plus d’une décennie n’a montré aucun signe d’anticipation de tels
besoins professionnels dans les métiers des industries extractives. Une erreur
qui se révèle d’autant plus grave que le pays sera confronté, à l’heure d’une
exploitation effective prévue dans un horizon pas plus lointain que les cinq
prochaines années, à un criard défaut d’entrepreneurs,
de techniciens, d’ouvriers, de juristes (la liste ne pouvant être exhaustive
des dizaines de professions relatives aux hydrocarbures….) spécialisés dans la
mise en valeur des hydrocarbures.
Au risque
donc que la forte potentialité d’emplois que pourraient générer ces industries
extractives ne profite pas au Sénégal et soit supplantée par l’arrivée d’une
main-d’œuvre et d’une expertise étrangère, il s’avère plus que nécessaire que
soit accéléré le processus d’introduction de ces nouvelles filières dans
l’enseignement et la formation professionnelle au Sénégal.
A en croire
le ministre de l’Energie et du Développement des énergies renouvelables,
Thierno Alassane Sall, la nécessité pour le monde universitaire sénégalais
d’accélérer la réorientation des formations vers les métiers liés à la gestion
des ressources naturelles et de sensibiliser les étudiants sur la nécessité de
voir le pays se doter d’un personnel compétent et capable de participer à
l’exploitation du gaz et du pétrole", a été comprise par l’Etat du Sénégal
qui compte mener plusieurs actions en concertation avec les différents
ministères chargés de l’Education
«Quel
rôle pour le secteur privé national ?»
Il faut savoir que les retombées financières
de l’exploitation du pétrole et du gaz pouvant être astronomiques pour
l’économie du Sénégal, celui-ci ne peut bénéficier au Sénégal que dans la
perspective d’une grande implication du secteur privé dans les industries
extractives. En effet, l’action de
l’Etat, au-delà de ses émoluments contractuels et fiscaux, étant relativement
circonscrite par ses interventions régaliennes, et censé se limiter à instaurer
un climat propice aux affaires, la part belle des gains économiques du Sénégal
doit donc revenir au secteur privé de par son investissement et ses
réalisations dans le secteur des hydrocarbures.
Aussi bien dans la formation professionnelle à travers la
multitude d’établissements privés d’enseignement dont regorge le Sénégal que
dans l’investissement dans les filières de transformation du pétrole et du gaz
en produits finis et dans la fourniture de biens et de services, d’autant plus
que les possibilités offertes par le marché sénégalais sont loin d’être
entièrement explorées.
Les
perspectives sont nombreuses et l’avenir semble doré, dès l’inventaire des
ressources minières découvertes pour le moment au Sénégal mais celles-ci
peuvent constituer un danger pour l’Etat du Sénégal si jamais les préalables
indispensables à leur exploitation judicieuse et bénéfique pour les populations
ne sont pas mis en place. A côté de la formation des ressources humaines, de
l’implication du secteur privé l’aspect le plus important est sans nul doute
celui du cadre juridique dans lequel vont se déployer les industries extractives.
Une nécessité d’autant plus plausible que les récentes évolutions de
l’actualité nationale remettent à l’ordre du jour le devoir de mettre à
contribution l’expertise sénégalaise afin de remodeler le décor juridique pour
une exploitation judicieuse, inclusive et surtout transparente des nouvelles
ressources en hydrocarbures.
POUR "LE REPUBLICAIN MAGAZINE"