"Récit d'une rencontre avec les Soixante-huitards" Par Thierno Khayar Kane

Le 29 Mai 2018, 50 ans après les évènements de Mai 68 au centre culturel français de Dakar, nous étions une minorité de Noirs et une majorité de Blancs. Cela rappelle les années 68 où les sénégalais étaient peu présents dans le campus universitaire. 

A 21H00 c’était autour d’un débat alléchant avec des panelistes tel que le modeste et brillant Ibrahima Wone Professeur au département de Lettres Modernes à l’Université Cheikh Anta Diop, Tabara Korka étudiante chercheuse dans cette université et d’autre pensionnaires de cette même université tels que Babacar Fall professeur au département Histoire-Géographie, Omar Gueye, Département Histoire et un autre doctorant artiste Youssoupha.  

Mai 68, un évènement contestataire parti du global au local pour certains. Ils diront même que c’est un mouvement synchronisé à partir de la France. Notre président-poète ne disait-il pas que : « les étudiants de Dakar singeaient les étudiants de Paris » ?

Le débat a permis de déconstruire cette forme de synchronisation qui fait que les gens pensent que le mouvement est parti de la France. Le professeur Wone parle d’une série de contestations partie des années 1961 jusqu’en 1968. Il nous a parlé des évènements suite à l’éclatement de la fédération du Mali en 1961, les querelles entre Mamadou Dia et Senghor en 1962, en 1963, le massacre des Allées Centenaire avec 10 morts, les protestations contre le coup d’Etat de Kwame Nkrumah en 1966, le bouillonnement nationaliste en 1968 et le casus belli que fut le problème des bourses des étudiants. 

Le gouvernement désirait réduire la bourse des étudiants et le nombre de mois payés afin de s’assurer qu’il serait en mesure de gérer les nouveaux entrants. Cela a occasionné trois (3) jours de feu à Dakar le 29, 30 et 31 Mai. Il s’ensuivit la mort d’un étudiant. Dakar était l’un des rares pays ou les nationaux constituaient une minorité au sein de leur campus universitaire. 

Le Dr Omar Gueye nous apprend qu’à l’instar de la plupart des pays du monde, le Sénégal a connu une vague de contestations estudiantines et syndicales en mai 1968. Parti d’une révolte des étudiants de l’université de Dakar, la « 18e université française », le mouvement, qui s’étendit aux élèves des lycées et aux syndicats de travailleurs, bénéficia du soutien de franges importantes de la population tandis que l’État pouvait compter sur la loyauté de l’armée, le soutien des marabouts et de certaines populations rurales. Le mouvement de mai 1968 au Sénégal résulte d’abord de facteurs locaux, même si le contexte international de contestation juvénile et de guerre froide pouvait faire penser à des connexions extérieures. 

Entre une grève d’étudiants qui a dégénéré, un mouvement étudiant infiltré par une opposition politique de gauche ou commandité de l’extérieur, et une révolte contre le capitalisme et le néocolonialisme, le mouvement présentait les contours d’une contestation du pouvoir personnel du président Senghor et de la plus grave menace que la jeune république du Sénégal ait connue jusque-là.

Ceux qui étaient présents ont aussi souligné le fait que le combat chez les jeunes n’est plus idéologique par contre, matérialiste. On est plus au moment de la lutte des classes mais plutôt, des places. Ce rêve qui animait les soixante huitard disent-ils est en berne aujourd’hui. Des gens sont venus du fin fond du pays pour défendre le pays, le département de sociologie fermé de 68 à 92, le mot d’ordre était « Bul ma fatt ». 

Selon la jeune génération présente il y’a un problème de transmission  dont la rupture est difficilement située. Les jeunes ne peuvent pas vous parler du groupe de Grenoble c’est-à-dire le front culturel, du groupe des femmes « yeewu, yewwi ». Des hommes de gauches, notre génération n’en connait presque plus.  

50 ans après, le même problème persiste.  Le 15 Mai 2018, mort par balle de Fallou Sène pour les mêmes causes. Le monde universitaire n’évolue-t-il donc pas ?  Est-ce que le désir de changement est profond ? Pourquoi serions-nous en train de nous battre pour les mêmes causes 50 ans plus tard ?