Plus d’un demi-siècle après les Indépendances censées marquer la fin d’années de pouvoir autoritaire de colons peu imbus des valeurs de libre expression mais le tableau reste relativement sombre malgré quelques éclaircies dans la grisaille africaine: emprisonnements abusifs de journalistes, restrictions de libertés, censures, répressions, contraintes à l’exil sont toujours à noter à travers le Continent.
Quand les classements, entre autres, de Reporters sans frontières ne voit pointer un Etat africain (la Namibie) qu’à la 25ème place, celui de « Freedom House 2016 » énumère à peine une dizaine de pays africains considérables comme libres et semble, à part le Cap-Vert occupant la 23ème déclasser les pays africains dans la zone rouge des contrées médiocres en matière de libertés civiles, fonctionnement du gouvernement ou encore participation politique tout comme la hiérarchisation mondiale de « The Democracy Ranking of the Quality of Democracy» de la même année.
Détail qui interpelle, il n’est pas anodin qu’il y ait une telle corrélation entre la liste des pays où la Presse vit des jours sombres et les noms de ces mêmes pays où le désir de démocratie est autant vigoureusement crié que réprimé.
Cet état de fait renseigne à suffisance sur le caractère imbriqué des Médias et de la Démocratie.
Si les systèmes particulièrement liberticides subsistent dans un nombre assez élevé en Afrique la question du faible poids qu’y ont les Médias n’expliquerait peut-être pas globalement le phénomène mais peut néanmoins être une piste de réflexion sérieuse.
Il est vrai, en effet, qu’il puisse exister des Médias sans Démocratie mais il ne peut, aucunement, y avoir de Démocratie véritable dans un environnement où les Médias ne disposent pas d’une franche autonomie implicite voire légalement réaffirmée, par qui de droit et pourquoi pas de devoir, dans le déroulement de leur œuvre d’information et de relai d’opinions.
Et il ne s’agit pas d’ailleurs de faire l’apologie de la « Démocratie », ce concept galvaudé, d’après certains incapables de proposer mieux, que nous, Africains, voulons apposer à notre vécu, repris à l’usure et presque désuet mais pour faire simple et moins controversé, il s’agit d’une aspiration, quel qu’en soit le terme désignateur de sens, à une Société juste, équitable où l’opinion de chacun est prise en compte quel que soit son Poids, où le Peuple, loin de l’abandonner au bon vouloir d’une minorité tyrannique garde le pouvoir de tenir et orienter vers l’horizon souhaité les rênes de son destin.
Il est évident qu’aucun Peuple ne pourrait exercer sa part de souveraineté, il est aussi vrai qu’aucun Peuple n’a un système efficace pour garantir qu’un de ses membres à l’autre bout puisse faire entendre à son semblable ses préoccupations sans qu’il ne leur soit nécessaire d’avoir un moyen de transmission de cette opinion, un relai, un vecteur de communication…un Média.
Ce « pouvoir » de la presse que certains se refusent jalousement à qualifier de « 4ème » pour des considérations formalistes prouve sa force de lui-même quand il est utilisé à bon escient par une Presse consciente. Et c’est bien de « Média-acteurs » dont a besoin l’Afrique.
Ce n’est d’ailleurs pas s’éloigner de l’étymologie du mot que de dire que le rôle que doivent se donner les Médias aujourd’hui c’est bien permettre aux populations africaines « de se former une idée de » l’ensemble des enjeux fondamentaux qui se déploient à travers les différents faits qui rythment la vie quotidienne, d’acquérir le sens d’une citoyenneté active parce que guidée par l’éclairage d'une Presse professionnelle et le plus possible objective donc équidistante des différentes parties antagonistes.
Qui disait que la meilleure manière d’opprimer un Peuple c’est de le garder ignorant ? Mais dans le Monde globalisé d’aujourd’hui, l’obstacle peut être levé et la technologie y aide déjà. Où qu’il soit, quelque langue qu’il puisse parler, et de quelque couche socio-économique dont il soit issu, les progrès technologiques dans la diversification des Médias comme la radio par exemple, transcende le blocage de l’analphabétisme dont souffre plus de la moitié de la population africaine pour s’adresser et adresser des messages dotés de sens et instructifs sur la marche du Monde.
Preuve incontestable de l’impact des Médias dans le fonctionnement démocratique d’une Société c’est aussi leur capacité de revitaliser la culture du débat positif dans l’espace public, parfois trop fermé, des pays africains partout où on a pu leur laisser libre cours. La charge contemporaine de la Presse en Afrique c’est de représenter, de manière moins abstraite, ce grand arbre sous lequel la palabre constructive et salvatrice de la stabilité des Sociétés africaines s’opérait. L’allégorie est peut-être osée mais en réalité que ne sauraient être les Médias autres que ce Micro omnidirectionnel qui ne discrimine pas les voix de par le statut de leur émetteur ? Cette plume qui trempe dans l’encre des revendications populaires pour écrire les doléances de ceux qui se sentent marginaux ? Cette caméra qui permet de voir et faire voir les tares d’une Société ou d’un système politique ?
Par ailleurs pour se gouverner il lui faut des élus mais ceux-ci ne relèvent pas de l’ordre divin et doivent être jaugés à l’aune de leurs capacités objectives à mériter le suffrage de leurs mandants. Le contrôle de leur action gouvernementale est un impératif auquel il est nécessaire de se conformer constamment pour se préserver des potentielles dérives autocratiques. Savoir si son élite gouvernante ne dévie pas des promesses pour lesquelles elle fut élue, ne manipule pas la Justice rendue au nom du Peuple, ne brade pas les ressources de son sous-sol, ne respecte pas l’ordre établi par la Loi du Peuple, n’obstrue pas les passerelles d’expression de son mot à dire est un attribut d’une Démocratie que les populations africaines ne demandent qu’à exercer pleinement.
Sur ces points parmi tant d’autres, la veille continuelle et impartiale de ceux qu’on appelle caricaturalement et pour de vrai « Dérangeurs » n’est-elle pas la plus efficace et indiquée au moment où l’on parle de « bonne gouvernance », « reddition de compte », « redevabilité » ou encore « transparence dans la gestion des deniers publics »
Mais tout ceci ne serait que vœux pieux et « Presse dans le désert » si n’arrivent pas à être dépassées les écueils traditionnels qui entravent la prise en main véritable de leur rôle par la Presse africaine qui dans certaines zones en est toujours à l’état de balbutiement.
On ne peut prétendre former des esprits sans être formé à le faire et sans acquérir un sens de la citoyenneté active et objective qu’on est appelé à insuffler aux autres.
On ne peut prétendre constituer un contre-pouvoir si on ne peut s’affranchir de l’asservissement d’un pouvoir politique et/ou économique.
De même la perception bientôt typiquement africaine du Média de service public transformé en instrument de propagande gouvernementale de même que la vision d’une Presse privée d’opposition aveugle doivent être dépassées grâce à la simple assimilation du paradigme de l’intérêt général. L’essentiel est de se ranger du côté du Peuple africain, de lui délivrer une information de qualité, de mettre en œuvre des programmes de qualité et non le replonger dans une Société de divertissement omniprésent qui lui fait oublier ses enjeux prioritaires de développement sous l’impulsion de « Médias de masse ».
Car ce n’est que pour cette responsabilité citoyenne ô combien importante que nous encourageons le renforcement de cette liberté des Médias en Afrique, qu’on clame et clamera en tant que de besoin, à l’instar de Voltaire : « Soutenons la liberté de la presse, c’est la base de toutes les autres libertés, c’est par là que l’on s’éclaire mutuellement »
MOUSSA NGOM
Ancien Etudiant en Master 1 de
Sciences Politiques à l’Université Gaston Berger
Etudiant en Licence II de Journalisme
au CESTI