
Leurs
révélations fracassantes les ont propulsés au-devant de l’actualité sénégalaise
de ces deux derniers mois. Adulés par une frange de la société pour leur totale
liberté de discours et leur posture quasiment « martyrique », ces
deux personnalités ont, de l’intérieur, bouleversé une architecture
administrative de coutume très discrète. Regard croisé sur ces fonctionnaires pas si ordinaires.
Des révélations en cascade…
S’il y a eu Edward Snowden avec le scandale des
écoutes de la NSA, Julien Assange avec son site d’alerte Wikileaks, Antoine
Delcourt et Raphael Halet pour le « LuxGate » qui ont fait l’actualité
à l’étranger, le débat public au Sénégal est depuis quelques semaines animé par
des sorties de plus en plus tonitruantes d’un inconnu jusque-là, des médias et
de la scène politique, propulsé au-devant de l’actualité lorsqu’au détour d’une
conférence à priori anodine il lâche (« par ironie » dira-t-il plus
tard) une bombe : « Les Députés ne paient pas l’impôt » ;
Dans
l’ornière du tollé provoqué par une telle déclaration suivie d’une multitude de
démentis confus et renforçant malencontreusement ses dires, émergent de
multiples interrogations sur l’identité de l’auteur de tels propos. Son nom
Ousmane Sonko, est jusque-là inconnu de la plupart des sénégalais surpris que
cet inspecteur du Trésor, pur produit de l’Université Gaston Berger et l’Ecole Nationale d’Administration en soit à
l’origine.
Galvanisé
par l’écho de ses dénonciations timidement contredites et lui assurant une
grande cote auprès de la Société civile, il enchaîne les révélations axées surtout
la politique économique, fiscale et budgétaire du régime. Ainsi dévoilera-t-il
entre autres que le coût de
l'organisation du référendum du 20 mars 2016
s’élèverait au vu de la loi de finance rectificative de 2016 à 10 milliards au lieu des 3 officiellement
déclarés, un marché de gré à gré de 150 milliards accordé par
l’Etat à l’entreprise « Envol immobilier » détenues en réalité par
des personnalités proches du régime d’après Ousmane Sonko qui s’intéressera
aussi aux « nébuleuses » dans la gestion du pétrole »
et combat énérgiquement la signature des Accords de partenariat économique par
l’Etat du Sénégal.
Visé par une procédure disciplinaire et révoqué le
29 Août 2016 son sort aura suivi la même tournure que celle d’un autre membre
de l’administration publique, Nafi Ngom Keita, démise de ses fonctions de
Présidente de l’Office National de lutte contre la corruption.
« Un
rapport final(ement) gênant »
D’après de nombreuses sources, elle avait déjà
commencé à s’interroger sur les raisons du refus du Président Macky Sall de la
recevoir, sans doute sentait-elle sa fin proche. Elle, c’est Nafi Ngom
Keita, « Dame de fer » d’après
ses proches, Présidente de l’Office national de lutte contre la corruption, une
institution mise en place dès l’arrivée du régime de Macky Sall pour conformer
l’Etat du Sénégal aux exigences internationales de transparence supposant entre
autres, la présence d’une Institution autonome et indépendante visant à lutter
contre la corruption. Un office qui a d’ailleurs été longtemps vanté par le
chef de l’Etat comme un instrument de la lutte acharnée qu’il comptait mener
sous sa magistrature pour assurer une transparence et une traçabilité sans
faille dans la gestion des deniers publics.
Madame Ngom dont l’apparition dans les médias n’est
pas nouvelle puisqu’à une époque, très en verve avec ses sorties intempestives
sollicitant des autorités administratives de s’acquitter de leur devoir de
déclaration de patrimoine.
Seulement après deux années de travail acharné, un
rapport est remis entre les mains de S.E Macky Sall. Un rapport explosif qui contre toutes attentes
accable plusieurs personnalités aussi bien proches qu’éloignées de la sphère du
pouvoir politique dans la gestion de leurs services. Dans ce rapport Nafi
Ngom Keita relève le manque de contrôle exercé sur l’administration susceptible
d’encourager les pratiques de fraude et de corruption.
Au
lendemain de sa publication, le rapport fait les choux gras de la presse qui
met en avant les cas de fraude ou de corruption dénoncés dans le rapport et
concernant des membres de l’entourage de Macky Sall, remettant ainsi en cause
le principe de rupture et de gouvernance vertueuse connu comme étant le slogan
de celui-ci.
L’avalanche
de réactions ne tarde pas à arriver et attaquée de toute part, Nafi Ngom Keita
est sous la menace d’une épée de Damoclès qui ne tarde pas à s’abattre. En
effet, à peine trois mois après la publication de son rapport, le décret
présidentiel tombe, consacrant la démission de ses fonctions de la Présidente
jusque-là de l’Office national de lutte contre la corruption.
La
« rupture » en question : l’excès d’engagement est-il devenu
nuisible ?
La procédure disciplinaire suivie de radiation enclenchée
contre Ousmane Sonko ainsi que le relèvement hâtif et vraisemblablement
précipité de ses fonctions, de Nafi Ngom Keita apparait comme symptomatique
d’une certaine frilosité du Pouvoir Politique à s’engager pleinement dans la
dynamique de gouvernance sobre et vertueuse, ce qui explique d’ailleurs la sympathie
croissante des acteurs de la société civile et d’une grande partie de la
population sénégalaise à leur égard.
On le sait, la particularité inhérente aux trajectoires
de ces deux hauts fonctionnaires que sont Nafi Ngom Keita et Ousmane Sonko
réside dans leur opiniâtreté à dénoncer toutes dérives notées dans leur secteur
d’activité respectifs, dans la gestion des services publics même si le second
nommé n’est pas exempt de soupçon sur ses ambitions politiques.
Qu’à cela ne tienne, au vu du phénomène croissant des
lanceurs d’alerte qui, on le rappelle, est désigné comme
étant toute personne qui estime avoir découvert des éléments qu'il considère
comme menaçants pour la société, et qui, de bonne foi et animé de bonnes
intentions, décide de les porter à la connaissance d'instances officielles ou
de médias, même contre l'avis de sa hiérarchie, une telle tournure de
quasi-musellement des voix discordantes n’est-elle pas défavorable à l’image en
construction du régime actuel ?
Pour ce qui est d’ailleurs du cas Sonko l’obligation
de réserve, principale objection des détracteurs de sa trop grande liberté de
ton, n’est-elle pas contournable si l’on sait que dans la loi n° 2012-22
du 27 décembre 2012 portant Code de Transparence dans la
Gestion des Finances publiques il est prévu dans l’article 7 que « des
sanctions, prononcées dans le respect des règles de l’Etat de droit, sont
prévues à l’encontre de tous ceux qui, élus ou agents publics, ont violé les
règles régissant les deniers publics. La
non dénonciation à la justice de toute infraction à ces règles par un agent
public qui en aurait eu connaissance est sanctionnée pénalement. » ?
Autant
d’interrogations allant à contre-courant de la volonté du Chef de l’Etat
d’encourager la transparence et la légalité dans l’administration des affaires
publiques et qui, si elles ne trouvent pas réponses convenables auprès du
sénégalais lambda, risquent fortement de compromettre la volonté de poursuite
collective de l’idéal de « rupture ».
MOUSSA NGOM